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Exposition "Visions chamaniques. Les arts de l'ayahuasca en Amazonie péruvienne
(Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 12 février 2024

 

Certaines cultures utilisent des substances hallucinogènes et les placent au coeur de leur vie sociale.C’est le cas des sociétés d’Amazonie occidentale qui accordent une place à l’ayahuasca, un breuvage hallucinogène d’origine végétale

et s’en servent notamment à des fins esthétiques. L’exposition «Visions chamaniques. Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne » met en valeur la diversité des modes de représentations contemporains des « visions » induites par ce breuvage. Et de réfléchir aux usages sociaux de ces images au-delà du côté esthétique, en soulignant le rôle de ces psychotropes non seulement dans le domaine artistique, mais également comme pratiques thérapeutiques,ou moyen de lutte politique, de développement personnel ou d’émergence de formes nouvelles de religiosité.

 

L’exposition, qui se tient jusqu’au 26 mai prochain au Musée du quai Branly-Jacques Chirac (Paris), s’ouvre sur les représentations artistiques inspirées par les visions produites par l’ayahuasca chez les Shipibo-Konibo d’Amazonie péruvienne, une communauté autochtone qui, sous l’emprise de ce breuvage, peint tout un répertoire composé de rythmes graphiques et géométriques (motifs kené) sur divers supports (textile, poteries, sculptures, compositions de perles…)

Le résultat de ces œuvres d’artistes contemporains Shipibo-Konibo est étonnant et le visiteur est subjugué par une peinture murale réalisée pour l’occasion par des artistes de l’Asociacion de Shipibas Muralistas Kené Nete de Lima (Pérou) ainsi que par un ensemble d’autres objets issus de la collection du Musée du quai Branly-Jacques Chirac, initiateur de cet évènement.

Malgré le doute de certains chercheurs, c’est bel et bien à l’émergence d’un art visionnaire d’Amazonie péruvienne que l’on assiste, à travers une nouvelle forme d’expression artistique exprimée par une nouvelle génération d’artistes, laquelle a d’ailleurs récemment accédé à la notoriété en participant à des exposition sur le continent sud-américain et en Europe.

C’est ainsi une peinture visionnaire péruvienne qui émerge avec, pour sources d’inspiration, les cultures et les problématiques contemporaines des groupes autochtones de la région. Et l’ayahuasca, y compris les visions qu’il provoque, de constituer une emprise de premier ordre.

 

La troisième section de l’exposition s’intéresse quant à elle à l’art inspiré de la mondialisation des principes chamaniques. Après avoir été longtemps confiné au monde amérindien, l’usage ritualisé des hallucinogènes se diffuse au-delà des frontières depuis la seconde moitié du XXème siècle. Survient ensuite le tourisme chamanique, à la source d’une nouvelle iconographie issue notamment d’artistes occidentaux. Une iconographie si riche qu’elle réunit à la fois les influences de l’art autochtone, de grandes figures de la peinture amazonienne, de l’esthétique psychédélique, du réalisme fantastique et des innovations techniques audiovisuelles.

Une place particulière est consacrée aux productions audiovisuelles (film, art digital, images de synthèse, réalité virtuelle) ayant marqué depuis peu ce courant. Qui plus est, c’est par une installation audiovisuelle en réalité virtuelle donnant un aperçu visuel immersif de l’expérience visionnaire provoquée par l’ayahuasca que s’achève le parcours de la visite.

 

Intéressons-nous au terme ayahuasca qui signifie « liane des morts » en langue quechua. Ce mot désigne en effet une liane originaire du bassin amazonien mais aussi la décoction aux propriétés psychotropes dont elle est le principal ingrédient.

Ce breuvage est utilisé par plus de 150 groupes autochtones d’Amazonie occidentale pour des pratiques chamaniques. Depuis le XXème siècle, l’intérêt grandissant d’un public occidental pour l’ayahuasca a donné lieu à l’apparition d’un tourisme chamanique et du développement d’une recherche scientifique sur les bienfaits thérapeutiques des substances psychédéliques.

Après avoir été requalifiées de « psychédéliques », ces substances sont devenues des vecteurs d’inspiration artistique, d’émancipation politique, de développement personnel, de thérapies alternatives et de nouvelles formes de religiosité pour les Occidentaux.

C’est tout naturellement qu’un nombre croissant d’Occidentaux se rendent en Amazonie péruvienne depuis les années 1990 afin de s’initier à l’hayahuasca tout en participant à l’essor d’un tourisme chamanique qui influe en profondeur sur la vie économique et culturelle du pays.

Politiquement, les réactions sont contrastées puisque la France a voté l’interdiction de la vente et de la consommation de l’ayahuasca depuis 2005, tandis qu’aux Etats-Unis, la même substance est autorisée depuis 2006, exclusivement dans le cadre d’une pratique religieuse. Le Pérou a pour sa part élevé au rang de Patrimoine culturel de la Nation depuis 2008, les connaissances de l’ayahuasca et son utilisation traditionnelle par les communautés d’Amazonie.

 

Peuple autochtone de près de 35000 personnes, les Kené Shipibo-Konibo, au mode de vie traditionnel, vivent majoritairement en Amazonie péruvienne, dans le département d’Ucayali. Réputés pour leurs productions esthétiques caractérisées par des motifs géométriques appelés kené, ils luttent pour préserver leur culture et défendre leurs droits, face aux défis qui menacent leur mode de vie traditionnel, comme la déforestation ou l’industrie minière.

Dans ce contexte, le kené, qui signifie « dessin » désigne, en langue shipibo-konibo, les motifs ornant traditionnellement les corps (sous la forme de tatouages ou peintures corporelles) et les objets (céramiques,textiles, bijoux de perles ou pièces de bois). Il faut savoir que la réalisation des kenés est par tradition réservée aux femmes.

 

L’exposition présente aussi un ensemble de céramiques d’usage quotidien ou rituel ornées de kenés. Chaque kené est unique et peint à la main. Ces motifs géométriques ornent les vêtements et parures des Shipibo-Konibo, mais cette pratique est également partagée par d’autres groupes de langue pano. Une pratique qui trouverait son origine dans les peintures corporelles réalisées à l’aide du jus sombre du fruit du huito.

 

La cure chamanique, elle, est faite d’une association de plusieurs sens (visuelles, acoustiques, olfactives et tactiles) Sous l’effet de l’ayahuasca, les kené sont susceptibles d’être vus, touchés, sentis ou entendus. Après l’ingestion du breuvage, le chamane perçoit les corps des participants comme recouverts de kené. « L’air » des personnes apparaît alors : celui d’un sujet en bonne santé apparaitra comme auréolé d’airs parfumés, enveloppé de motifs lumineux colorés, alors qu’une personne en mauvaise santé sera entourée d’airs mauvais et sombres et représentée comme recouverte de dessins déformés.

Il revient alors au chamane de nettoyer les « airs sombres » via un processus de guérison chamanique, à l’aide de plantes odorantes, de fumée de tabac ou de parfums projetés avec le souffle sur les corps des participants. Le tout accompagné de chants rythmés par la percussion de la chakapa et la maraca qui rétablissent l’harmonie des dessins recouvrant le corps du patient.

 

L’émergence d’une peinture visionnaire d’Amazonie péruvienne vit le jour à partir des années 1980 sous la forme d’expression iconographique privilégiant le mode pictural. L’oeuvre de Pablo Amaringo a fait de cet artiste une figure tutélaire de cette peinture visionnaire. Artiste-chamane, Pablo Amaringo se consacre d’abord exclusivement à la peinture naturaliste avant de commencer à peindre ses « visions » au début des années 1980. Ses tableaux représentent le plus souvent une scène de prise rituelle d’ayahuasca et donnent à voir la faune et la flore d’Amazonie, mais aussi la cosmologie et les pratiques hétéroclites du chamanisme.

Les années 1990 verront émerger une nouvelle génération d’artistes qui donnera naissance au courant de la peinture visionnaire d’Amazonie péruvienne. Et ces jeunes de rejoindre Pablo Amaringo pour se former auprès de lui. En 1986, le peintre anthropologue Luis Eduardo Luna créera l’école de peinture amazonienne Usko-Ayar à Pucallpa. A la même période, d’autres jeunes artistes (parmi lesquels shipibo-konibo Lastenia Canayo, Robert Rengifo, Elena Valera ou Roldann Pinedo) quittent leurs communautés pour rejoindre Lima afin de perfectionner leur technique et faire connaître leur travail.

 

Lors de cette exposition, le visiteur est également convié à admirer un ensemble de sculptures réalisées par l’école ONANYATI (« la sagesse des anciens ») qui rassemble une vingtaine d’artistes visionnaires péruviens, lesquels se sont réunis pour la première fois autour du Français Jean-Michel Gassend au début des années 2000.

L’école en question recrée la peinture visionnaire sous la forme de sculptures tout en articulant leur travail de création autour de leur héritage culturel, en sculptant les êtres qui peuplent leurs expériences visionnaires et les mythes amazoniens.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Visions chamaniques. Les arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne », jusqu’au 26 mai 2024, au musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37 quai Branly, ou 206 et 218 rue de l’Université à Paris (7ème).
  • Catalogue de l’exposition, 224 pages, 39,90€.









 



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