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Si Gaspé m'était contée
(Gaspésie, Québec, Canada)
Heure locale

 

Samedi 26 mai 2018

 

C'est sous le soleil que j'arpente ce matin la petite ville de Gaspé, qui tire son nom du terme Gespeg, emprunté aux Amérindiens Micmac, et qui signifie « le bout de la terre ». Je suis ému de me retrouver ici aujourd'hui, à l'endroit même où mon (lointain) cousin Jacques Cartier (natif, comme moi, de Saint-Malo) et grand navigateur (comme je le suis) à travers le globe planta pour la première fois une croix dans cette baie de Gaspé en 1534. Il y rencontrera les Amérindiens Micmacs (ci-dessous), habitants de longue date de cette région qui seront réellement conquis en 1765 par les Britanniques, puis, vingt ans plus tard, par les Loyalistes échappés des Etats-Unis, après la défaite de la Grande-Bretagne face au nouveau continent américain.

La péninsule gaspésienne est née il y a plus de 400 millions d'années avec la création de la chaine des Appalaches. Les premiers humains à occuper ce territoire furent les ancêtres des Micmacs il y a plus de 2500 ans, des nomades qui vivaient ici et là en fonction des ressources disponibles. Les Iroquoiens passeront ici quelques centaines d'années plus tard, notamment au 16è siècle lors de l'arrivée des Européens, avec lesquels ils feront de nombreux échanges. Les pêcheurs européens seront d'abord attirés sur ces côtes grâce aux eaux poissonneuses : les Basques, puis les Espagnols, les Français et les Anglais y pêcheront la morue du printemps à l'automne. Et Jacques Cartier de changer le cours de l’histoire en 1534 lorsqu'il prend possession du territoire au nom du roi de France, François 1er. Il prendra d'abord contact avec les Micmacs dans la baie des Chaleurs, puis avec les Iroquois dans la baie de Gaspé. Malgré les échanges de cadeaux, Donnacona, le chef de la tribu fera comprendre au navigateur français que sa prise de possession était inopportune ce qui n'empêchera pas Jacques Cartier d'ériger une croix de bois lors d'une cérémonie officielle le 24 juillet 1534, puis de lever l'ancre le lendemain pour la France, en emmenant avec lui deux des fils de Donnacona qui lui serviront de preuve de conquête et de guides pour son second voyage un an plus tard. Ainsi naitra la Nouvelle-France.

 

Il faudra toutefois patienter jusqu'en dans les années 1700 pour qu'un établissement permanent soit érigé à Gaspé. Pierre Révol et sa famille seront les premiers occupants de l'endroit en compagnie de quelques pêcheurs dans la baie. Il faudra l'arrivée des Britanniques en 1758, lors de la guerre de Conquête, pour que les installations soient brûlées par le général Wolfe et ses troupes, mettant un terme à toute présence française sur le territoire gaspésien. La Conquête apporte avec elle ses premiers anglophones (en provenance des Etats-Unis, d'Angleterre, d'Irlande et des Îles anglo-normandes) qui s’installeront à leur tour dans la baie de Gaspé pour y vivre de la pêche puis de l'industrie forestière.

Ces pêcheurs utilisaient les grèves pour faire sécher la morue pêchée et pour la saler. Le poisson était ensuite entreposé dans des barils avant d'être exporté vers l'Europe. La chasse à la baleine sera aussi pratiquée à Gaspé, pour en tirer l'huile que l'on brûlait pour s'éclairer. Les années 1800 verront un accroissement sensible de la population de la petite ville avec l'arrivée de colons désireux de travailler sur place d'autant plus qu'on recherchait à l'époque manœuvres pour les quais, employés pour les commerces et pêcheurs.

Le 19è siècle sera quant à lui marqué par l'ouverture de plusieurs scieries sur les rives du bassin de Gaspé. L'abondance de bois dans les environs se prêtait à ce genre d'activité : on coupait le bois l'hiver, puis on le descendait par la drave en utilisant les rivières dès le printemps pour ensuite exporter le tout à bord de gros navires en partance pour l'Europe. Entre 1861 et 1866, Gaspé sera désignée comme zone de port franc par le gouvernement, ouvrant ainsi à la région le droit d'importer des produits sans droits de douane ni impôts. Et le nombre de bateaux entrant dans la baie de Gaspé de doubler durant cette période. Plus de 162 maisons de commerce oeuvrent alors sur place et neuf bureaux de consulats ouvrent afin de protéger les intérêts des pays respectifs. C'est l'âge d'or du port de Gaspé, qui s'imposera désormais dans le commerce maritime mondial.

Le 20è siècle sera moins florissant pour la ville à cause de la chute du commerce du bois et donc des nombreuses fermetures des scieries qui en découleront. Plusieurs centaines d'emplois seront ainsi perdues. Quant au poisson, il aura été tellement pêché qu'il se fera plus rare, laissant là aussi de nombreux pêcheurs au chômage. Ne parlons pas de la concurrence montante de nouveaux ports comme Halifax ou Québec.

 

Il faudra l'arrivée du chemin de fer à Gaspé en 1911 et la construction d'un pont reliant les deux rives pour que l'activité redémarre quelque peu dans la petite ville, laissant place à des années fastes en 1920-1930. C'est à cette époque qu'arrive Monseigneur François-Xavier Ross, homme visionnaire à l'origine du séminaire, de l'hôpital, de l'Ecole normale et ménagère, de la construction du premier pont et de l'arrivée de plusieurs congrégations religieuses. Toutes ces nouvelles institutions contribueront à amener des immigrants à Gaspé et à relancer l'activité économique. La seconde Guerre mondiale verra aussi l'installation d'une base navale et la construction de trois forts autour de la baie, entrainant l’installation d'une garnison de soldats de 1941 à 1945 dans le but de protéger cette porte d'entrée stratégique du Canada (Cf. Bataille du Saint-Laurent) qui servait également de point de ravitaillement pour les bateaux se dirigeant vers l'Angleterre.

Les années 1970 bouleverseront les conditions de vie de nombreuses familles (nous l'avons vu dans un précédent article consacré au parc national de Forillon, avec l'expropriation de plus de 300 d'entre elles) qui vivaient dans la pointe de Forillon afin de permettre la création d'un parc national. Cette période correspond également à la construction de grands boulevards à Gaspé et à la revitalisation du centre-ville, mais aussi à la disparition partielle du Vieux Gaspé. Aujourd'hui la ville est principalement tournée vers le tourisme mais celui-ci connait ici une courte saison (cinq mois par an au maximum). Restent le développement des nouvelles technologies, avec, entre autres, l'industrie éolienne.


 

Je me rends au Musée de la Gaspésie près duquel a été érigé le monument à Jacques Cartier (ci-dessus) créé en 1977 par Jean-Julien Bourgault et Pierre Bourgault-Legros. Cette sculpture en fonte commémore la rencontre du navigateur avec les Iroquoiens en 1534 à Gaspé tout en évoquant la vision et le sentiment des Amérindiens par rapport à l'arrivée des Européens sur leur territoire.La forme de menhir a volontairement été choisie pour rappeler les origines bretonnes de Jacques Cartier et décrire aussi les collines, les vagues et les galets de Gaspésie. Il faut dire que l'arrivée du navigateur à Gaspé fut inopinée puisque, après s'être arrêté dans la baie des Chaleurs, notre homme remontera vers l'embouchure du Saint-Laurent. Après avoir quitté Percé, une tempête le contraindra à chercher refuge dans la baie de...Gaspé. Une des ancres s'étant brisée, Jacques Cartier consent à accoster pour procéder à sa réparation. Et les équipages de s'installer à terre pour quelques jours. Ici, où ailleurs, Jacques Cartier qui avait de toute façon pour mission de prendre possession des terres du Nouveau Monde au nom de François 1er a finalement choisi de planter la croix à Gaspé. Simple concours de circonstance.


 

Celle qu'on surnomme encore aujourd'hui la Main (pour les anglophones) ou la principale (pour les francophones) n'est autre que la rue de la Reine, reine des rues de Gaspé grâce à sa richesse patrimoniale : cette rue doit son nom au passage de la reine Elizabeth II en compagnie du prince Philip en 1959. L'endroit voit naitre les premiers hôtels de la ville, les magasins généraux des Davis et des Robin, et certains édifices municipaux. Je m'arrête au Marché des Saveurs gaspésiennes (ci-dessus en photo), une maison qui a toujours eu une vocation commerciale depuis sa construction en 1860. Un magasin général y sera d'ailleurs installé par le premier locataire John F.Davis, et restera en activité jusque dans les années 1970. Gaspé dépendra longtemps de l'importation de produits venus par bateau ou par train et les magasins généraux jouaient alors un rôle crucial dans l'approvisionnement de la population.

Au N°186 de la rue de la Reine s'élève encore le One Ash, ou maison historique de William Wakeham (ci-dessous). Construit en 1842 par James Perchard, ce bâtiment patrimonial deviendra la propriété de William Wakeham, médecin, inspecteur des pêches et explorateur, en 1880. Et de passer entre les mains de John Baker (deuxième photo) dès 1920 qui en fera le One Ash Inn. Cette auberge fonctionnera jusqu'en 1983, date à laquelle la maison deviendra quelques années plus tard lieu historique protégé.

 

J'emprunte bientôt la rue de la Cathédrale qui me conduit tout naturellement à la cathédrale (en photo ci-dessous), un édifice d'apparence inattendue dont on doit la construction à Mgr Jean-Marie Fortier. Celui-ci fera appel à l'architecte Gérard Notebaert qui érigera l'ensemble en 1969, quarante ans après l'incendie de la procathédrale Saint-Albert (deuxième photo). La nouvelle cathédrale est conçue dans le style californien Shed style, en cèdre non verni, et est à ce jour la seule cathédrale uniquement constituée de bois dans toute l'Amérique du Nord. Ses toits en pente rappellent les montagnes Chic-chocs. L'ancienne cathédrale, elle, avait été inaugurée en 1916, puis incendiée en 1929. Mgr Ross lancera un an plus tard le projet d'une basilique nationale dédiée au Christ-Roi à l'approche des célébrations du 400è anniversaire du passage de Jacques Cartier à Gaspé. En vain, car la crise économique de 1929 aura raison de ce projet, avant son achèvement (seules les fondations et la crypte sont alors construites). Et la petite ville de devoir patienter jusqu'en 1965 pour aboutir à l'édification de l'actuel édifice. Un détail à ne pas manquer au-dessus de la porte d'entrée : le tableau de Fouqueray, peinture de l'artiste Jules-Charles-Dominique Fouqueray, que la France offrira en cadeau à Gaspé lors des Fêtes de 1934. L'oeuvre (troisième photo) représente une reconstitution du passage de Jacques Cartier à Gaspé. Elle sera longtemps conservée au Musée du Québec (à Québec) avant de regagner la cathédrale une fois celle-ci achevée.


 

Ma courte promenade se déroule uniquement sur la rive nord du Saint-Laurent, là où se trouve la « vieille » ville. Au départ, Gaspé se développera même en deux zones distinctes sur cette seul rive nord, sur la Pointe O'Hara et dans la colline, zones alors séparées par la Main (rue de la Reine). Lors de la seconde moitié du 19è siècle, la rive sud se développera à son tour, sous le nom de Gaspé Harbour (port de Gaspé). Et la Pointe Conway et les quais d'être encore privilégiés par les commerces et les entreprises tandis que les résidences garnissaient les flancs des collines. Durant le 20è siècle, l'activité commerciale se concentrera sur la Pointe O'Hara (rive nord), et la rue de la Reine servira de zone mitoyenne avec ses hôtels, sa poste et son télégraphe, et son hôtel de ville (transférée depuis de l'autre côté du fleuve). La population augmentera de façon égale sur les deux rives du Saint-Laurent. Et le village de devenir ville pour atteindre son apogée avec la fusion de douze villages en 1970.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Marché des Saveurs gaspésiennes, 119 rue de la Reine, à Gaspé. Tél:(418) 368 7705. Que de bons produits dans cet ancien magasin général, et un excellent accueil en prime. On peut s'y attabler pour savourer d'excellents croissants accompagnés d'un café au lait
  • Le guide « Sur les traces de l'histoire de Gaspé » (en photo ci-dessous) permet de parcourir de façon détaillée l'histoire de la ville. En vente à la boutique du Musée de la Gaspésie.

 

 

 

 











 



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